Hall de la Bourse du travail de Bordeaux (cliquer ici pour voir la photos de la tribune)


MAI 68 en Gironde
(Intervention prononcée par Michel Becerro, secrétaire de l'IHSA)

Bonsoir à tous
J'ai bâti mon exposé sur l'une des idées qui ont conduit l'IHSA à sortir la revue n° 88 (cliquer ici pour voir la couverture de la revue n° 88  sur mai 68.

Je la résume dans  la volonté de ne pas laisser dire, écrire, développer l'idée fausse selon laquelle la CGT aurait été sortie de sa torpeur, de sa léthargie un beau jour de mai 68, alors que tout démontre une intense activité dans les années précédentes, activité relancée notamment par l'accord d'unité d'action CGT-CFDT de janvier 66.

Torpeur, léthargie, rien de cela en 68. Nous étions bien réveillés, on a dit : " c'est le moment " et le mouvement social ouvrier a fait de mai et juin 68, à la fois un aboutissement et l'annonce de quelque chose de nouveau sur des questions sociales et sociétales.

En Gironde comme ailleurs, le fil rouge qui a traversé l'espace et le temps s'articule autour du bouillonnement des idées et du foisonnement des actions à tous les niveaux.

C'est ce que la revue permet de constater. Quels que soient les auteurs, quels que soient les secteurs, tous ont marqué ou ont été marqués par des luttes successives clairement identifiées. Et tous ont évoqué la dignité exigée et retrouvée à l'issue du conflit.

Bien entendu, je vous laisse le soin de les découvrir et il y a dans cette salle des camarades auteurs, acteurs, témoins qui pourront apporter leur contribution au débat.

Pour ma part, je voudrais maintenant aborder les traits de caractère de la situation de 1968 en trois phases :

     →  AVANT, c'est l'arrogance du pouvoir et du patronat face à laquelle la colère et les luttes des salariés montent en puissance

     → PENDANT, c'est l'explosion de cette colère avec l'idée forte que c'est le moment. C'est le déferlement de la démocratie développée et permanente, de la solidarité et du parrainage des " faibles inorganisés " par les " forts organisés "

     → APRES, c'est le succès revendicatif, c'est la dignité retrouvée, c'est le renforcement exceptionnel de la CGT.

Pour traiter succinctement ces trois caractères déterminants de la période, je vais m'appuyer, certes sur la revue n° 88 de l'IHSA mais surtout sur deux documents syndicaux historiques :
Le rapport du 41e Congrès (cliquer ici pour voir la photo du congrès UD 67)   de l'UD des 21 et 22 avril 1967 et celui du 42e (cliquer ici pour voir la photo congrès UD 69)    des 18 et 19 avril 1969, congrès tous deux tenus dans ces murs de la Bourse du travail.

     →  Avant, c'est l'arrogance, la colère et les luttes qui montent.

Le pouvoir gaulliste est arrogant. Main dans la main avec le CNPF, il met en œuvre son processus de concentration capitaliste qui conduira à la casse du tissu industriel du département. Cela se traduit par des fermetures d'usines et d'entreprises, grosses et petites, conduisant à des milliers de licenciements.
Cela touche les secteurs traditionnels de la métallurgie et des chantiers navals, de la chaussure, du textile, de la forêt. C'est le départ du chômage menaçant organisé, qui deviendra de masse dans les années qui suivront.

Le pouvoir gaulliste est arrogant car il met en place la première grande offensive de casse de la Sécurité Sociale. Il agit en se donnant les pleins pouvoirs et en procédant par ordonnances en août 67 qui démantelait le régime général issu de la Résistance. (Voir revue IHSA n° 77). (cliquer ici pour voir  la couverture du n° 77)

La liste des luttes nationales, départementales, professionnelles, interprofessionnelles, et d'entreprises est impressionnante.
Pour mémoire nationalement : 3 600 000 journées de grève en 1966
                                                         4 500 000   en 1967.

Pas de chiffres départementaux connus, mais les rapports des congrès sont explicites. De novembre 65 à avril 68, pas moins de 14 journées ou semaines d'actions interprofessionnelles menées dans le département auxquelles s'ajoutent les luttes des professions et entreprises telle celle  de la lutte des Dassault de novembre 66 à février 67. (Voir revue IHSA n° 86). (cliquer ici pour voir la couverture la revue n° 86)

En lisant la revue n° 88, vous pourrez constater le même phénomène dans la profession bancaire :
15 actions avec grève et AG, tenues entre janvier 66 et février 68.
A la SAFT, 7 débrayages en janvier et février 68.
Tout comme vous avez pu noter que les salariés des Impôts avaient commencé leur mai 68 en mars avec une grève administrative qui durera 33 jours !

Une précision : avant même les évènements de mai dont le point d'orgue fut le 13 mai, il était prévu nationalement, depuis mars 68, une manifestation pour la défense de l'emploi et de la Sécurité Sociale pour le 15 mai (cliquer ici pour voir le tract du 15 mai 68)     ! Et cette journée a bien eu lieu deux jours après la grève nationale du 13.

Les revendications générales fortes du moment :
-    augmentation des salaires
-    suppression des zones de salaire, 2% pour la Gironde
-    parité des salaires girondins avec ceux de Paris (-30 %)
-    abrogation des ordonnances contre la sécu.
-    mise en place de sections départementales du Fonds national de chômage et indemnisation du chômage partiel
-    abaissement de l'âge de la retraite (qui était à 65 ans)
-    attribution d'une prime de transport
-    et surtout réduction du temps de travail sans perte de salaire (la loi de 1936 et les décrets de 1937 sur la semaine de 40 heures toujours en vigueur ne sont pas appliqués)

Qui pourrait continuer à dire ou à écrire que " la France "   ouvrière et syndicale s'ennuyait, l'arme au pied ?

    
L'explosion, la démocratie, les parrainages, le renforcement et l'organisation de la vie sociale.

Les événements se sont précipités. Qui pourrait dire de manière certaine que ce qui a mis le feu aux poudres accumulées par les luttes antérieures relève plus de la révolte étudiante que de la répression qui a suivie ?
 
Peut-être les deux, mais ce qui est sûr, c'est la prise de responsabilité du bureau confédéral de la CGT dans son appel du 15 mai, confirmé par le CCN du 17 :

" Travailleurs, travailleuses, à l'appel de vos syndicats, agissez sans attendre, rassemblez- vous sur les lieux de travail, participez à la détermination des revendications et des modalités de l'action dans vos entreprises, vos branches, vos régions. "

Et tout s'enchaîne dès le 16 mai et surtout dès le lundi 20.

On s'organise à tous les niveaux. Les formes dépendent  de la culture et de l'ancienneté des structures syndicales, de la dimension et de la nature de l'entreprise, s'il y a occupation totale ou partielle.
Mais partout, il y a de la fougue et de l'enthousiasme, toutes générations confondues. Il y a de la démocratie dans l'air, pour décider de la grève, de sa gestion, pour recenser les revendications.
Les AG sont quotidiennes, quasi permanentes. La Bourse du Travail à tous les étages est une ruche, ruche qu'il a fallu protéger. (Voir revue n° 88 " la nuit des barricades ")
Il y a mille choses à faire : suivre l'info et la diffuser, organiser la solidarité, les parrainages.
Sur proposition confédérale, la FILPAC et le syndicat de Sud-Ouest et la République ont décidé de la sortie des journaux pour assurer l'information. Les communiqués syndicaux quotidiens sont utiles.
De leur côté, les syndicats de EDF-GDF assurent la maintenance et le fonctionnement du réseau.
Fin mai, les syndicats des banques assureront dans leurs entreprises respectives la possibilité pour les salariés d'obtenir des acomptes sur salaires.

Enfin, la solidarité dans le parrainage et le renforcement de la CGT.
Je cite le rapport du 42e Congrès :

" La solidarité interprofessionnelle fut remarquable, les entreprises anciennement et solidement organisées, aidant, conseillant, organisant les nouvelles usines engagées dans la lutte pour la première fois.
Les cheminots, les gaziers et électriciens, les métallos, les employés de banque, les dockers, les ouvriers des chimiques, etc. jouèrent un rôle déterminant dans cette bataille d'aide et de conviction. "


Je complète : les usines certes, mais aussi le tertiaire et les grands magasins sont de la partie. A Bordeaux, ces derniers, les uns après les autres s'organisent depuis la rue. Ensuite, ils se retrouveront en assemblées générales tenues dans la cour ou sur la terrasse de la Bourse du Travail, pour le compte-rendu des négociations locales avec le syndicat patronal bordelais.

     Le Bilan social.

9 millions de grévistes ont eu raison de l'arrogance du pouvoir gaulliste et du patronat.
Ils ont été contraints d'ouvrir des négociations qu'ils avaient refusé jusque là.
Les revendications qu'ils rejetaient depuis 10 ans, ils ont été contraints de les satisfaire pour beaucoup.
La première étape déjà abordée s'est traduite par les négociations de Grenelle et son constat.

La brèche ouverte a conduit à la 2e étape, à plusieurs niveaux : branches, locales, entreprises.
C'est le constat Oudinot pour la fonction publique. Ce sont les accords de Varennes pour l'agriculture. Ce sont des milliers d'accord dans le pays, des centaines dans le département à partir de négociations qui se sont poursuivies bien au delà de mai et juin 68.
Tout cumulé, cela a conduit à un bilan social exemplaire que nous avons déjà évoqué. (Voir Le bilan social de l'année 68 cliquer ici pour voir le bilan social 68)   par Maurice Cohen)

Imaginons ! En Gironde :
Des dizaines de milliers de salariés payés au SMIC obtenant une augmentation de  37% !
Des milliers de salariés agricoles payés au SMAG obtenant une augmentation de  59% !
à quoi s'ajoutent, pour les jeunes de 16 à 18 ans, très nombreux au travail à cette époque, la réduction importante voire la suppression des abattements d'âge.

Non seulement cela ne conduit pas les entreprises à la faillite mais c'est toute l'économie qui est relancée et le chômage qui baisse dans le pays : 500 000 en 68, 250 000  en 69. Bien que nous ne retrouvons pas en Gironde la même proportion de baisse en raison d'une casse industrielle  exacerbée.

Le bilan resterait partiel si nous n'ajoutions pas au bilan revendicatif, le bilan syndical.
Car lui aussi est exemplaire.
148 entreprises nouvelles organisées à la CGT et plus de 10 000 adhésions recensées.
Des centaines de militants qui se sont affirmés dans l'expérience de la lutte, jeunes et femmes en particulier, militants qui pour beaucoup deviendront des dirigeants de syndicats, d'UL, de  l'UD avec des droits syndicaux nouveaux, des responsables de commissions de jeunes ou de commissions féminines.

Là encore, soyons précis : comme pour les luttes ce n'est pas le renforcement en Mai 68 et rien avant, c'est le constat d'un renforcement continu de la CGT depuis 1958 (voir état du Congrès de 1969, courbe de timbres payés à l'UD). Courbe ascendante qui se poursuivra jusqu'en 1975 pour décliner surtout après 1981.

Le meeting du 30 novembre 1968 tenu à Bordeaux avec Benoit Frachon a fêté le 10 000e nouvel adhérent (voir revue n° 88) et mis à l'honneur symboliquement :
-    le syndicat des Cuirs et Peaux, le plus méritant pour son renforcement, puisqu'il passe de 80 adhérents environ en 1967 à plus de 1500 fin 1968
-    les Unions locales de Libourne (voir revue n° 88), de Bordeaux-Gare et de Langon, pour l'aide inestimable apportée aux entreprises de leur rayon d'action
-    les entreprises ayant le plus aidé les autres à s'organiser : Régie municipale du Gaz, Dassault, SAFT, Auximéca, employés de banque, cheminots Saint-Jean et Bordeaux-Bastide, taxis, ARAA.


J'arrive au terme de mon  court exposé. Vous comprendrez qu'il n'y aura pas de ma part une quelconque conclusion. Je vais donc terminer comme j'ai commencé :

    →   en martelant l'idée que l'IHSA à la volonté et l'ambition d'être utile au mouvement syndical et aux militants d'aujourd'hui,

    →  en écartant l'idée simpliste du copier-coller pour la génération actuelle placée dans une situation complexe dans une société ou sont remis en cause tous les fondements solidaires.

Merci de votre attention.

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